Lettre de Julia Pressel, 2012 :
Chers amis de Simeon Pressel,
Quand ma mère a déménagé, j'ai trouvé un texte manuscrit à l'écriture inconnue, que je souhaite maintenant partager avec vous. Quelqu'un semble avoir transcrit ce qui avait été enregistré d'un récit oral. Je me souviens d'une soirée, peut-être en 1969, lorsque nous étions en vacances aux Pays-Bas: mon père avait été invité par les membres de la Communauté des Chrétiens de Haarlem pour partager ses souvenirs de Biélorussie; au cours de cette soirée il avait aussi joué du violon, des pièces de Bach, qu'il avait jouées durant sa captivité. Une séance de ce type me semble avoir été à l'origine du texte ci-dessous.
Certaines parties de l'enregistrement audio semblent ne pas avoir été entendues et sont indiquées dans le texte original par des points: (…). Il y a d'autres parties ou mots, que je ne peux pas lire, qui sont indiqués par (?). Certains mots étaient soulignés avec un crayon rouge et sont ici en caractères gras. Je pense que ces éléments soulignés viennent de lui-même: à un endroit un mot incomplet a été complété avec le même stylo rouge et je crois reconnaître son écriture.
Le texte ne semble pas fini. Les multiples endroits où il parle au présent me font conclure que cette séance a été enregistrée relativement tôt après son retour de prison, bien qu'il n'y ait ni signature, ni date.
Dans ce texte la Russie doit être comprise comme étant la Biélorussie. J'ai arrangé ce texte le 21 août 2012.
Meilleures salutations de Julia Pressel
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Récit de Simeon Pressel
Chers amis, Comme je dois vous parler ici des trois années d'emprisonnement de guerre que j'ai endurées, alors je vais … tout d'abord … comme vous le remarquer peut-être durant mon récit. L'emprisonnement a été conçu de deux manières (?). La première est que … sans ce que les compagnons ont vécu qui sont restés là-bas. Déjà dans le cours des deux premières années, plus de la moitié des prisonniers qui sont arrivés en Russie sont morts. Plus tard, les conditions se sont un peu améliorées; cela sera prouvé plus tard par une résistance élevée, des caractéristiques particulières (?), un nouveau développement; des capacités pour surmonter ce genre de situation. Comment se fait-il qu'autant n'aient pas résisté – un choc entraîne beaucoup de choses. La plupart d'entre nous a déjà fait l'expérience de choc et peut imaginer qu'une personne qui est exposée à ces chocs venant de différentes directions … n'ait plus le temps de les surmonter et en arrive à être dans un état appelé tristesse ou opiniâtreté.
Déjà dans les premiers camps dans lesquels j'étais passé, j'avais vu que les gens ne faisaient plus attention à leur environnement, mais considéraient les choses intérieurement d'un air morne et pensaient particulièrement au moment auquel le prochain repas serait servi. J'ai lu dans le journal de quelqu'un: "Aujourd'hui encore rien de nouveau ne s'est passé; aujourd'hui on n'a pas non plus reçu de tabac; aujourd'hui les officiers ont reçu du tabac, mais pas nous!" Voilà à quoi ressemblait en moyenne une journée de prisonnier à cette époque. La plupart des prisonniers n'étaient préoccupés que par cela. Je peux dire que je me suis complètement démarqué de ce type de prisonniers … Une fois j'étais sur le point de penser, en été lorsque les hirondelles volaient dans les airs, que leur vie valait mieux que la mienne. Oh c'est fou! … Au contraire, quand mon emprisonnement touchait à sa fin, je me suis mis à être comme inquiet de retourner à toutes les possibilités de la liberté.
Revenons au camp, à un moment où dans un camp prévu pour recevoir 10.000 personnes, il y résidaient 35.000 personnes la plupart du temps. Les gens trouvaient quelque part un morceau de planche ou de carton et se faisaient avec ça une sorte de paravent avec lequel ils se protégeaient quand il y avait de la pluie. Un jour il y eut une d'une pluie torrentielle: le toit fut arraché et des os furent cassés. La vie pour ces gens n'était pas enviable. Ce qui caractérisait l'endroit où je dormais c'est qu'il n'y pleuvait pas. Lorsque vous traversez de telles périodes, vous pouvez voir des personnes misérables accroupies ou couchées sur le sol. Si une personne ramasse un morceau de papier ou autre chose, immédiatement quelqu'un accoure contre cette personne et dit que c'est à lui. Tout, depuis une pierre vers ce qu'il y a de plus élevé, a un propriétaire. Une autre fois durant ces premiers jours: vous pouvez voir des gens assis dans un coin, tenant un morceau de tissus; ce mouchoir sera parfois lavé et alors le prisonnier se fera une représentation de sa propre existence. J'ai vu cette image encore et encore.
Presque tout le monde est en manque d'une existence qui ait un sens. Pour les Russes, travailler est complètement sans signification. Les gens travaillent un peu ici et un peu là. Pour travailler à 100% … il y a des gens qui sont engagés à 60% ou 80%. J'ai réalisé que l'estimation des capacités de travail de chacun était complètement ignorée, parce qu'on avait dit au superviseur ce qui pouvait être considéré comme 100% etc … Dans cette situation la sympathie et l'antipathie sont très importantes. Pour travailler en tant que médecin … vite … vous pouvez aussi voir des sportifs périr misérablement … J'ai vu un cycliste professionnel de six jours mourir de … ; après aussi un boxeur qui faisait encore des compétitions le premier été; ou un steeplechaser (course de haies hippique)… un champion de tennis.
Les heures avant la mort sont faciles à décrire. De l'extérieur cela ressemble à ça: la fatigue augmente; au début ils continuent à se lever pour manger, après on doit leur apporter leur nourriture et un jour ils ne touchent pas à la nourriture: après cela ils ont la diarrhée. Les trois derniers … la réaction à indiquer. Ensuite ils sont spirituellement absents et vous pouvez difficilement dire comment ces gens sont morts. C'est à ça que ressemble la mort de 99% des prisonniers qui ne sont pas morts de maladie.
Une fois seulement j'ai assisté à une lutte avec la mort en relation avec la diphtérie. J'ai vu mourir au moins cent personnes, quand elles se dépouillaient de leur santé complète et de leur force. Elles s'anéantirent lentement. Je n'ai vu quasiment aucune épidémie. A mois seul j'ai dû prendre soin de 800 personnes. Typhus (?); l'isolement n'était pas encore possible à cette époque.
Dans la plupart des camps la situation était mauvaise. Les malades, qui avaient été emmenés par les médecins à … étaient tôt ou tard récupérés par un officier. De façon regrettable, le personnel allemand participait aussi à cela et je ne resterai pas silencieux à ce sujet. Un jour quelqu'un à été roué de coups pour travailler et il mourut l'après-midi même; mais selon les russes c'est normal. Il n'y avait pas de joie pendant toute cette période. Plus tard ils installèrent une salle d'hôpital qui était gardée dans un bunker souterrain. Il n'y avait pas de fenêtres, ni de portes ou de lampes. La lumière venait par une ouverture qui était bloquée par des lits durant la nuit. Les gens faisaient la queue pour expliquer leurs problèmes, c'était surtout au sujet de la vessie. "Docteur, il y a un problème. Je me mouille tout le temps". Durant ce premier été en 1945 ces problèmes étaient particulièrement communs; quelque chose qui ne pouvait pas être expliqué.
Au bout de quelques temps ils nous donnèrent des médicaments et des sacs de paille, avant cela nous dormions à même le sol. Nous reçûmes des couvertures, mais ils les reprirent. Les Allemands étaient aussi coupables que les Russes sur ce point. Les couvertures furent prises pour être vendues à d'autres. A l'extérieur de la clôture qui entourait le camp, il y avait les civils et toute la journée c'était un lieu de commerce: les chaussures étaient échangées contre un peu de tabac. Mais les gardiens russes reprenaient tout aux civils pour qu'ils ne puissent pas le revendre. Un jeune homme vendit tout son uniforme trois fois, plus tard il en reçut un nouveau par un gentil chef de camp. Ce phénomène n'est pas possible à comprendre.
Souvent je n'ai pu aider que par des encouragements. J'essayais de ramener les gens de nouveau à la réalité. Je me souvenais de certains textes qu'un médecin … sur la force, même le volume. Souvent aucune autre possibilité ne m'était laissée que de rugir sur les gens. Il n'y avait pas d'autre moyen pour les ramener à la réalité. Une autre chose que je pouvais faire était de donner des massages. Je suis moi-même un grand ami du massage. Auparavant, j'ai passé du temps avec lui et c'est apparu efficace tant que le donneur a des mains en bonne santé. Les cas les plus difficiles je les ai pris en main moi-même. Je cherchais une assistance adéquate. Le prisonnier de guerre ne fait que ce qu'il est obligé de faire. Mais rapidement il y en eut quelques-uns qui pouvaient faire du massage. Souvent je laissais les gens qui travaillaient dans ma salle se mettre en file le matin et chacun travaillait le dos de la personne devant lui. De cette façon j'ai trouvé un masseur très talentueux. Je le repérai et plus tard il devint mon premier aide soignant et masseur.
De ce camp dans la forêt, j'ai été transporté dans un hôpital parce que j'étais moi-même malade. Vous devez attendre un à deux jours votre tour. La plupart des gens arrivent un samedi, mais doivent attendre jusqu'au lundi avant de pouvoir voir un médecin. Dans la salle d'attente il y a en a toujours quelques-uns qui meurent. Quand je fus envoyé là-bas, le premier mourut déjà avant que nous ayons quitté le camp de la forêt; le suivant mourut dans le train; le troisième alors que nous étions débarqués; personne pendant le temps d'attente. Finalement, la personne malade était déshabillée et perdait ainsi tout ce qu'il possédait. On lui rend sa cuillère, son tabac, sa serviette et peut-être aussi sa brosse à dents, s'il possède un tel "luxe". Après cela c'est le temps du bain. Il y a un genre de maison de bain avec quelque chose comme des baquets. Ils ont des trous qui sont bouchés avec des morceaux de tissu pour que l'eau s'écoule plus lentement. C'est ce qui est appelé l'épouillage. Après ça la personne malade est conduite dans la baraque en sous-vêtements, tempête de neige ou non. Les cabinets sont dehors, couverts d'un toit. A part cela, c'est ouvert à tous les regards: tout sentiment de honte finit par disparaître complètement.
Après avoir enduré un hiver là, avec un … l'été arriva et les médecins eurent la possibilité d'aller dans la forêt (l'hôpital consistait en deux baraques pleines); au début volontairement avec le groupe qui était chargé de chercher du bois de chauffage. Les Russes ont leur propre principe: chaque jour vous ne ramassez que la quantité de bois de chauffage dont vous avez besoin pour le jour même. Les Russes ne travaillent pas en anticipant! – La même situation avec tous les besoins – Au début les soldats cachaient des morceaux de bois sous leurs oreillers, mais le responsable du bois de chauffage inspectait partout. La plupart du temps c'était facile de faire tout le travail avant midi et alors les après midi étaient libres. Bientôt les premières fraises et mûres furent ramassées et la direction du camp devint plus humaine. En conséquence j'eus la possibilité de ramasser des plantes médicinales. Je revins chez moi avec de nombreux bouquets et herbes. Au début les Russes étaient un peu sceptiques concernant mes activités, mais après je reçus la tâche officielle de constituer un stock important de médicaments.
Ceux qui n'étaient pas très malades vinrent avec moi. La médecine traditionnelle russe est bien considérée, elle est promue par les universités et est construite sur des bases scientifiques. Au travers des quelques lectures que j'ai faites à ce sujet, j'ai trouvé le droit … Je me souviens par exemple qu'il est dit dans un texte que dans l'ail, l'oignon et d'autres plantes aromatiques, il y a une substance qui en peu de temps (cinq minutes) a un effet stérilisant. A la fin nous avions le droit de sortir chaque après midi et d'emmener les moins malades avec nous. Chaque médecin emmenait cinq à dix personnes après le déjeuner. Les environs sont complètement plats et désespérants. J'ai pu sauvegarder tous mes livres et les rapporter en Allemagne.
Au printemps, nous fûmes surpris par un concert de rossignols, une expérience comme je n'en avais jamais fait auparavant. Des centaines de rossignols surgirent en une jubilation, jour et nuit. Les nuits étaient plutôt claires. Le village le plus proche s'appelle Polrzk. Le crépuscule ne durait que pendant une heure après minuit. C'était la même chose dans la forêt où les plantes étaient en liesse. Il y avait une telle force grâce à un marais dans les environs. Chaque médecin avait sa zone favorite et j'aimais la forêt, ma forêt préférée. C'était magnifique de voir les gens "se dégeler" un peu dans cette forêt. Souvent ils se perdaient sérieusement dans cette nature. Mais ils redevenaient bientôt plus vivants.
Maintenant je veux vous parler de ce que j'ai essayé de faire. Je veux utiliser l'expression: ouvrir un être humain! Cette ouverture pouvait déjà être vue quand ils se dégelaient dans la forêt. J'avais rassemblé un petit cercle de personnes autour de moi, avec lesquelles je pouvais lire Faust de Goethe, les parties un et deux étaient disponibles. Un seul d'entre eux ne savait rien du Dr Steiner; c'était un homme de Silésie. Au fil du temps le cercle s'agrandit, nous fîmes des conférences. Les plus avertis étaient invités à parler. Plus tard, quand il y en eut trois ou quatre dans le groupe, je commençai à parler directement d'anthroposophie avec eux. "Morgenstern". Alors, nous commençâmes à rendre les longues soirées d'hiver plus courtes en parlant de choses différentes. Bientôt tout le monde avait appris quelque chose par cœur et cela nous donna un moment solennel avec Morgenstern et les indications de Steiner. Rapidement, il devint nécessaire d'approfondir certains sujets dans le détail. Pour cette raison, nous décidons d'attribuer un sujet à chaque soirée. D'une fois à l'autre, une personne différente de notre cercle était chargée de la soirée et essayait durant une heure, de rendre tout vivant pour le reste d'entre nous. Il est clair que nous devînmes plus proches les uns des autres au travers de ces expériences, pas seulement en relation avec moi, mais avec chacun des membres du cercle nous avons expérimenté une ouverture qui n'existait pas auparavant. Maintenant vous devez vous imaginer la libération que cela doit être quand il devient possible de lancer cette force "pour briser le plafond". Vous devez également essayer de faire en sorte qu'une telle expérience soit transmise aux autres personnes; et aussi trouver un chemin de sortie pour M. dans cet environnement et ces conditions de vie !
Quantité de porridge par personne, deux cuillères à soupe. Après avoir été malade je reçus aussi ce porridge: la qualité était excellente et la qualité de la nourriture était globalement particulièrement bonne; surtout des pommes de terre. Le pain est généralement très savoureux, mais cuit très liquide. Toute l'atmosphère et l'entassement et les difficultés, ça doit être brisé avec l'aide d'un stimulus spirituel offensif. Ceci ne pourrait pas se produire sans l'aide que j'avais déjà trouvée au travers de l'anthroposophie et que j'avais à chercher dans ma mémoire. J'appelle cette attitude offensive. D'un autre côté j'avais beaucoup de temps, et comme j'étais de nouveau en bonne santé durant l'été 1946, il n'y avait pas un jour sans que je ne fasse l'exercice de rétrospective du soir et d'autres stimulations méditatives. Examiner = description d'un prisonnier derrière des barbelés.
La dernière année, mon activité était bien plus importante. A cette période l'approvisionnement était devenu bien meilleur; le mode de vie était différent. Nous avons meublé une grande grange pour en faire un hôpital, avec des lits séparés; une salle de bain décente était aussi disponible. J'y avais même mis une baignoire. Je préparai alors une pharmacie et lorsque je quittai le camp je laissai aussi trente sortes de médicaments, et un grand grenier avec des plantes médicinales. La production de médicaments homéopathiques rencontra quelques problèmes au début. Mais bientôt les Russes en demandaient. – Mercure D6: j'ai soigné le fils du directeur de l'hôpital (?) avec et après cela ma réserve de médicaments était considérée comme inoffensive.
Traitement communautaire: mon infirmerie avait maintenant une pièce à part. Lorsque j'arrivais le matin avec vingt à quarante et jusqu'à soixante-dix patients, je ressentais comme une épreuve intérieure la question suivante: quelle quantité de force puis-je donner à ces gens? Mais dans cette salle on ne cherchait pas seulement à soigner les maladies, nous nous efforcions aussi de cultiver le sens du lien qu'il y avait entre nous. Au moment de l'Avent, nous n'avons pas seulement fait des lectures, nous avons chanté des chants de Noël et prières par un prêtre catholique. Nous lûmes Faust et les œuvres de Goethe et sa langue pouvait alors être une expérience particulière. Plus tard, grâce à cette expérience, je pus lire à haute voix des livres de Meister. Tout le monde avait un joli rôle! Plus tard nous lûmes de petites histoires; nous avions des poèmes.
Enfin brièvement, sur la façon dont nous avons organisé nos vacances. Noël est le summum de la communauté, et ainsi furent les trois Noël que j'ai passés en Russie, inoubliables pour moi. Lors du dernier rassemblement de Noël, le prêtre (mon aide-soignant) parla le premier, nous chantâmes au milieu. A ce moment-là, nous avions obtenu des recueils de chant et des partitions. Alors je prononçai quelques mots. J'opposai la lumière qui était apparue dans le ciel avec la bombe atomique au Japon et la lumière céleste de Bethléem qui avait apporté la lumière pour la délivrance de l'humanité. Puis quelques patients prirent la parole. Pour finir, nous jouâmes quelques morceaux que mon aide-soignant et moi-même avions préparés ensemble. Nous eûmes aussi un arbre de Noël magnifique.